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INTERVIEW

Jehnny Beth, chanteuse survoltée du groupe britannique Savages, comédienne nommée au César du meilleur espoir féminin en 2019, animatrice captivante de l’émission Echoes sur Arte, traverse la scène et l’écran depuis quelques années avec toujours cette même intensité foudroyante. Une artiste d’envergure qui ne fait qu’allonger son CV avec son premier album solo To Love Is to Live, où les voix de Cillian Murphy (Peaky Blinders) et Joe Talbot (Idles), et son livre C.A.L.M.: Crimes Against Love Memories où photographies et récits dénudés s’enlassent. Rencontre avec Jehnny Beth, la plus anglaise des artistes françaises.

Tu es comédienne, chanteuse, musicienne, animatrice, auteure. Comment est-ce qu’on doit te présenter ? Artiste, ça suffit ?

Artiste, c’est très bien. Quand j’étais plus jeune, j’avais plus de mal à assumer ce terme qui semblait assez grandiose. Mais je me suis rendue compte qu’en fait je n’étais pas autre chose. Le deuxième mot serait Musicienne. Ça reste la majorité de mon activité, de mon obsession.


« I am naked all the time », c’est la première phrase du premier titre de l’album. « I’m taking one more breath », c’est la dernière du dernier. Il se passe quoi entre les deux ?

La fin ramène au début. C’est comme ça qu’avec Atticus Ross on a construit ces deux morceaux. J’avais envie de finir sur quelque chose qui se mord la queue. Et qu’est-ce qu’il se passe entre les deux ? Tout. C’était un peu ça le challenge ; représenter des extrêmes d’une vie avec les hauts, les bas, l’intensité, la densité. Il y a des moments très agités à côté de moments très calmes qui, par contraste, nous obligent à ressentir quelque chose. Mon premier but, c’était qu’on ne s‘emmerde pas en écoutant l’album (rires). Déjà parce que j’avais envie, moi, de ressentir quelque chose. Je me suis exilée à 20 ans, j’ai passé 5 ans avec Savages, fait des tournées partout dont celle de Gorillaz : ça faisait plus de 10 ans que j’étais loin de chez moi. J’arrivais à un point où je m’empêchais de ressentir par peur de souffrir, et c’est par la musique que je m’en suis rendue compte. On dit toujours qu’il faut de la souffrance pour créer mais c’est du ressenti qu’il faut. Même le bonheur peut faire mal. C’est intense.

C’est quand même pas le but du bonheur, à la base.

Nan mais il faut un choc. Vivre est une proposition assez violente finalement. Très solitaire et très violente. On arrive à des moments de vie où on s’empêche, intérieurement de vivre, et l’album, c’était pour réveiller tout ça.

Autour de toi il y a Savages, Pj Harvey, Gorillaz… Pourquoi faire cet album solo ?

Je l’ai fait à mon nom mais pas toute seule. Johnny Hostile a co-écrit pratiquement tous les morceaux et co-produit certains. J’ai aussi co-écrit avec Romy Madley Croft des XX. J’ai travaillé avec les producteurs Atticus Ross et Flood aussi, à LA, à Londres, à Paris. J’aime bien travailler en troupe parce que ce n’est pas mon idée que je recherche mais l’idée parfaite.

Jehnny Beth, sur scène, avec son propre album. C’est la même qu’avec tous les artistes avec qui tu l’as partagé auparavant ? 

Mon rapport physique à la scène est toujours le même. Mais en écrivant l’album, je l’ai consciemment oublié parce que je n’avais jamais essayé de le faire avant. Avec Savages, il y avait des morceaux écrits sur scène carrément, tout tournait autour. Là, j’ai travaillé dans différentes villes, différents studios avec différents producteurs et auteurs dont moi-même. Je voulais que l’album ouvre des portes plutôt que d’être une continuité totale.

Et quand tu le joues sur scène, ça change quelque chose de ne pas y avoir pensé dès l’écriture ?

Quand on a joué l’album au BBC Radio 6 Music Fest, ça faisait 6 mois qu’on bossait dessus. On a du tout restructurer pour la scène avec mes musiciens : deux filles, deux garçons dont Johnny Hostile. Mais j’ai toujours un amour inconditionnel pour elle.

Et la tournée ? Reportée ? Annulée ?

Reportée ! Je devais être en tournée jusqu’au mois de Novembre. Là, on travaille sur le plan A, le plan B, le plan C. On y travaille.

La scène, elle est essentielle à ton message ?

Oui mais cet album – sorti en confinement au moment où on allait commencer à le jouer sur scène – peut s’écouter sans le live. Et c’était mon but. La scène apporte une autre vision des choses mais ce qui comptait c’est que l’album soit fort, qu’on ressente des choses en l’écoutant. L’un peut vivre sans l’autre. Mais ça serait frustrant de ne jamais le jouer. 

Tu voyages beaucoup. Tu es peut-être même plus une artiste anglaise que française. Les publics sont différents ?

Je trouve qu’après le Bataclan, il y a eu un réveil super fort des publics français et surtout parisiens. Je me souviens qu’avec Savages, on avait des mosh pits dès qu’on jouait à Paris. Ça ne se passait pas qu’en Angleterre. Au début, on s’ennuyait à Londres et c’est pour ça que j’ai commencé un groupe comme Savages parce que j’en avais marre du public qui ne bougeait pas. Maintenant, il y a une intensité mais ça vient des groupes aussi. Il faut montrer ce qu’on a envie de voir et donner l’exemple. Si tu es raide comme un piquet sur scène, il ne va pas se passer grand chose dans la foule. Mais je trouve que la musique live se porte très bien en ce moment et partout dans le monde. Quand l’indie rock est devenue une majorité, c’était une tristesse infinie : des gens bras croisés regardant le public. On avait l’impression que tout était des showcases, des occasions de jouer pour trouver un agent. C’est con à dire mais il faut presque que ce soit une question de vie ou de mort le live. Je monte sur scène, il faut qu’il se passe quelque chose sinon, j’ai pas fais mon taff. 

La sensualité, le corps, les genres sont très présents sur scène. Les Londoniens sont plus libérés que les Parisiens ? 

J’ai vu les deux. À Paris, j’ai assisté à des supers concerts avant le confinement : Fontain D.C., The Aussies avec des moshpits partout. Après on peut voir des groupes et c’est terriblement chiant, ça arrive. Ça dépend de qui on va voir. Moi j’aime bien les moshpits.

On te définit comme une rockeuse. Pourtant, c’est pas du rock que tu fais. Ça veut dire quoi alors être “rock” ? 

En France, on dit rock pour tout et n’importe quoi. Quand on dit que Lou Doillon est la révélation rock – je la respecte beaucoup – mais je ne comprends pas. À la base, c’est un genre musical le rock mais ça dépend des pays. Aux États-Unis, Savages est un groupe de metal hard-core. En Angleterre, on est post-punk. Et en France, on est rock. Pour cet album-là, si on parle de rock c’est parce qu’il y a eu Savages derrière je pense parce qu’il est assez éclectique quand même.

Alors le rock, c‘est un genre et une image ?

C’est une identité visuelle, un style, et je pense qu’une partie de moi a ça. Mais après… c’est un truc de journaliste. En parlant de rock, tu vends un mode de vie mais qui ne me parle pas du tout. Je suis plutôt une «Straight Edge». Un mouvement lancé par Ian Mackay qui, à 16 ans, se dessinait une croix sur la main pour indiquer aux serveurs des clubs qu’il ne pouvait pas boire d’alcool mais venait juste pour la musique.

Suite de l’interview dans le Numéro #15 de KAO Magazine, disponible gratuitement ici : Télécharger le numéro

Crédit photos : Johnny Hostile

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Suzon Depraiter

Author Suzon Depraiter

Rédactrice en chef web, Suzon est surtout fan de boules à facettes et de fringues à paillettes.

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