Docteur Cruz
Premier album solo sous l’alias Docteur Cruz, le bien nommé Me voilà, n’attendait plus que le moment favorable pour sortir de l’ombre avec force mais modestie. Dix titres au second degré exalté qui sous-tendent néanmoins les interrogations profondes de son compositeur.
Docteur Cruz, c’est l’alter ego de Cactus, chanteur et guitariste des joyeux et opiniâtres trublions Cactus & Mammuth. Sous ce curieux pseudonyme, qui pourrait donner à penser au nom d’un méchant dans un film d’action hollywoodien des années quatre-vingt-dix, s’écoute un projet musical intime, prêt depuis déjà quelques années mais qui pourtant aurait pu ne jamais voir le jour.
La création musicale peut tout autant être perçue comme de l’art et du divertissement depuis l’émergence de la pop culture – voire même du cabaret, si ce n’est depuis la musique profane de l’époque médiévale. Tout dépend de l’approche du compositeur et de la nature de l’œuvre. Il n’est ainsi pas toujours aisé de savoir soi-même jauger, lorsqu’on est musicien, si notre création sonore est digne d’être diffusée à un public élargi ou devrait plutôt rester confinée au cercle des proches. Le meilleur moyen d’en avoir la certitude semble tout de même de le sortir afin d’affronter les éventuelles critiques.
Autant l’histoire que l’essence même de cet opus tiennent de ces questionnements sur l’intérêt et l’attrait potentiel d’une sortie musicale. Le projet a vu le jour dès 2016 et les chansons ont été développées sur deux ans dans une optique d’apprentissage assidu des techniques de production et de mixage. « Avec les potes, on pensait qu’on allait devenir des superstars dans la demi-heure ! En réalité j’étais mort de trouille à l’idée de sortir cet album, nous confie avec sincérité l’artiste. Je n’assumais pas. J’ai toujours sorti des projets en groupe. T’es obligé d’aller jusqu’au bout parce que t’es engagé avec d’autres personnes, alors que là, tout le monde s’en fout. »
Caractérisé par ses morceaux parsemés de textes loufoques souvent improvisés, emplis d’ironie et de sarcasme à la manière de Philippe Katerine. La diction y est toutefois parfois plus proche du regretté Alain Kan, à l’instar de la complainte bluesy « Gluten ». Ce chant assumé vient habilement coiffer une instrumentation aussi riche que travaillée, à certains moments assimilables à du rock autant funky que planant, quand ce n’est pas davantage électronique ou d’une hybridité résolument barrée et assurément expérimentale.
« J’écoutais beaucoup Mac Demarco à l’époque. Et aussi beaucoup d’EDM (surtout le label Mad Decent) ça m’inspirait énormément pour Cactus et Mammuth, explique-t-il. J’étais pas mal branché spiritualité et pensais que tout allait me tomber dessus en visualisant les choses… Mes études étaient trop “cartésiennes” alors j’avais besoin de passer de l’autre côté un peu. Dans les thèmes je parle parfois de ces autres mondes plus doux, plus harmonieux. Mais aussi de choses plus simples et légères. Je pense que le but c’est de se déculpabiliser et de profiter. Ça faisait longtemps que je n’avais plus trop composé avec ma guitare, puisque j’apprenais beaucoup la Musique assistée par ordinateur avec des logiciels piratés… Je me suis fait plaisir sur l’instrument avec pas mal de solos. Cet album est un hommage à tous les styles de musique qui m’ont permis de me libérer d’un quotidien trop morne. Le rock d’abord, le funk et la pop plus planante. »
Comme pour exorciser les démons d’une période passée, avec Me voilà, c’est un cap qu’a franchi l’auteur-compositeur-interprète en accouchant d’un album empreint d’une pop copieusement assaisonnée au second degré irrévérencieux et dopée d’expérimentations aussi farfelues que réussies. On ne peut désormais que souhaiter pour l’année 2022 de découvrir une suite et, si la situation le permet, d’être immergé par l’univers décalé de ces chansons sur scène. Nonobstant cette incertitude, Docteur Cruz nous fait savoir qu’il a pour résolution de se lancer dans des improvisations en live-stream à la manière de Marc Rebillet. Ainsi, il ne s’agit pas d’une comète agréable à regarder mais qui trace son chemin vers l’infinité sans se soucier de ses admirateurs, mais bien d’un projet durable qui on l’espère pourra buzzer.