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INTERVIEW

Au cœur de « Prêtresse » : Quand Angie devient Ngielix Sonic

Ngielix, c’est l’histoire d’une rappeuse habitée par sa passion dévorante pour le rap. Ses influences éclectiques vont d’Édith Piaf à Miley Cyrus, ce qui donne à sa musique toute son originalité et à son rap des sonorités aux allures pop rock. C’est en 2020 que l’aventure commence pour Angie, le vrai nom de la jeune rappeuse issue de banlieue parisienne. C’est en participant à des Open Mic qu’elle fait ses premiers pas dans l’écosystème rap. Deux ans plus tard, Ngielix revient sur le devant de la scène avec « Prêtresse » son premier EP, sorti le 7 juillet. Elle y dévoile une œuvre totale où les titres se font écho et retracent son parcours initiatique d’Angie à Ngielix Sonic.

 

Pourquoi avoir choisi Ngielix comme nom d’artiste ?

Je voulais différencier mon prénom, qui est intime, de mon nom d’artiste qui reflète mon personnage de Grande Prêtresse. Les Prêtresses existent, et de fait chacune se choisit un nouveau prénom pour incarner son rôle, sa nouvelle vie de guérisseuse. Les Sorcières aussi, modernes ou non, se choisissent un prénom adapté à leur magie. Pour moi et pour d’autres, Prêtresse et Sorcière sont dans un sens synonymes. 

La sonorité dans mon nom d’artiste NGIELIX, évoque déjà la magie, ça peut sonner comme une formule, un prénom mystérieux et mystique.

En tant que Prêtresse, mon avatar dans la musique mais aussi dans mon chemin spirituel personnel, j’ai choisi ce nom que j’incarne et que j’invoque comme pour me rappeler de ma mission de vie, rester puissante malgré mes douleurs et mes failles et rester humble dans ma puissance féminine.

Est-ce que ta participation à des Open mic était un moyen de te faire connaître ou était-ce par pur plaisir ?

Participer à des Open Mic a été l’occasion de rencontrer des gens qui font de la musique comme passe-temps mais aussi comme métier. J’ai pu créer mes premiers contacts là-bas, et aussi m’entraîner au freestyle et à la scène. 

Quand on a un trouble anxieux, passer sur scène c’est une épreuve ! J’ai rencontré beaucoup de bienveillance et de solidarité dans ces Open Mic qui rassemblent des gens très différents mais qui partagent l’amour de la musique.

Ces premières scènes m’ont permis de me donner confiance et de me confirmer que faire de la musique était pour moi une nécessité.

À l’occasion d’un open mic sur le Canal Saint-Martin, organisé par BEATUME, j’ai rencontré Inho, lui-même artiste. Il est devenu mon ingé son/producteur et a travaillé avec moi sur mon EP Prêtresse alors que je ne connaissais rien au versant technique de la musique. Un heureux hasard donc, les open mic m’ont définitivement mise sur la voix du studio!

En 2021, tu as été repérée grâce à une série de freestyles-ballades autotunées, avant de rejoindre GOGOGO, label dédié aux rappeuses underground. Est-ce que tu te sens appartenir à cette scène « underground » ?

On emploie souvent ce terme sans trop savoir de quoi il s’agit je crois. Moi la première. Si j’ai bien compris je suis une artiste underground dans la mesure où j’ai grandi en banlieue et que je ne viens pas d’un milieu social en contact avec des professionnels de la musique : que ce soit les artistes, programmateurs, ou producteurs. J’ai effectivement créé mes premiers contacts seule, mais Benjamin qui est à l’initiative du label GOGOGO m’a vite donné l’opportunité de faire de la scène et de participer à des ateliers pour aider des jeunes artistes à se produire sur scène ou à enregistrer en studio. C’est surtout les actions collectives au sein de GOGOGO qui font de moi une artiste qu’on peut appeler underground. 

Enfin le label est créé par Benjamin qui travaille au sein de l’association « la Souterraine », et comme le nom l’indique, il vise à dénicher des talents de sous la terre, des artistes sur qui on ne met pas forcément la lumière. Pour autant je ne me sens pas forcément en appartenance avec la « scène underground ». 

Tu partages souvent la scène avec d’autres artistes féminines, comme ta première partie de Lala &ce ou avec les artistes GOGOGO. Quelle différence entre être solo et à plusieurs ?

Déjà puisqu’on peut revenir sur la première partie de Lala &ce, c’était vraiment un rêve que j’ai réalisé. J’écoute cette artiste depuis 2016 alors qu’elle était peu connue, et jouer sur la même scène qu’elle pour sa première partie a été une opportunité de fou. Son public était top, j’espère que j’aurais l’occasion de le refaire !

Ensuite, pour ce qui est de la scène à plusieurs, ça donne définitivement confiance en soi et ça crée une énergie collective qui n’existe pas quand je suis seule sur scène. Surtout les premières fois, être avec mes consœurs sur scène m’a vraiment aidé. Ensemble le show est encore plus puissant. Ce qui est super c’est que malgré nos styles différents, nos sons sur scène se marient bien. Enfin je pense que notre musique est sincère et aussi personnelle parfois, pour ce qui est de Yelsha et Turtle White, savoir qu’on est plusieurs à raconter notre vécu donne une force non négligeable pour ensuite faire un concert de fou ! Avec le temps, je me sens quand même de plus en plus prête à chanter seule sur scène, c’est une autre expérience du concert, plus intime je crois.

Quelles sont les rappeuses dont tu admires le travail ?

Les rappeuses dont j’admire le travail sont nombreuses, mais s’il faut faire un choix je citerais en France : Lala &ce, Shay, Doria, Le Juiice aussi. 

Ce que j’aime chez ces femmes au-delà de leurs différences entre elles, c’est leur manière de s’assumer. Elles assument qui elles sont et restent elles-mêmes malgré le poids des contraintes « commerciales » dans la musique qui pourrait nous faire croire qu’on devrait être « street » ou plus masculines parce qu’on fait du rap, comme pour être légitimes d’être rappeuses. Ces femmes ne répondent pas aux critères qu’on attend d’une femme dans le rap et les jeunes artistes émergentes s’inscrivent dans cette lancée. Une artiste bien installée telle que Lous and The Yakuza fait de son chemin de vie sinueux une force pour créer sa musique, je trouve ça très puissant.

Enfin s’il faut citer une rappeuse étrangère, je citerais Princess Nokia qui est une femme qui dégage des pures énergies positives, elle nous invite à développer notre caractère sacré, s’inscrivant dans sa lignée familiale de sorcière, tout en délivrant un message féministe fort de respect envers les autres femmes. Je m’incline.

Ton premier EP « Prêtresse », sorti le 7 juillet, montre ton éclosion : d’Angie à Ngielix qui devient ensuite Ngielix Sonic. Pourquoi avoir choisi de créer une œuvre totale ?

J’adore le terme d’œuvre totale qui est sans que je l’ai formulé ainsi vraiment le point d’ancrage du projet, vous avez vu juste. Un premier projet c’est l’occasion de se présenter, de s’introduire au public, c’est pourquoi je voulais qu’entre chaque track, on sente l’évolution de la Prêtresse, sans que le terme ne soit cité une fois. C’est plus puissant je trouve de voir le champ lexical s’ouvrir à mesure des sons qui avancent. 

Je commence poussière d’étoile, puisque c’est ainsi que nous naissons, matière céleste universelle que l’on doit incarner dans notre vie terrestre. Se rendre compte que l’on est nous-mêmes des étoiles, c’est dans ce son une manière de prendre conscience de notre puissance intérieure. Malgré la douleur face à l’hypocrisie par exemple « que des faux sourires autour c’est ça qui me rend triste », on peut décider de ne pas faire comme cette masse informe de gens qui se complaisent dans les faux-semblant. Si tu sens en toi que c’est injuste, si tu as l’intuition de ta puissance alors tu dois la développer, tu dois laisser parler la face divine de ton être, sinon tu restes bloqué·e dans une existence détachée de ta mission de vie. C’est pendant ce premier son que je deviens Ngielix et que je fais le choix de cultiver mes qualités au lieu de me complaire dans mes défauts.

En combien de temps se passe l’éclosion, du premier au dernier titre ?

Cette éclosion d’une minuscule poussière d’étoile perdue au beau milieu de l’univers, dans l’infiniment grand qui terrorise, vers la Prêtresse qui est notre sagesse intérieure ne se fait pas linéairement. Comme je l’ai dit plus tôt, c’est un combat sans fin que de se rappeler notre grandeur, tout en restant humble. 

Des expériences d’injustices, de violences et de trahisons nous permettent de voir que ceux qui font du mal aux autres projettent leurs propres souffrances. Ça ne veut pas dire qu’il faut tout accepter mais qu’il faut regarder en nous pour comprendre que nous vivons d’abord avec nous-même toute notre vie. On ne peut pas faire l’impasse de la guérison si on veut vraiment exister. Or la guérison est ponctuée d’échecs, de crises identitaires comme dans le titre « dysphorie » par exemple. 

C’est l’affaire d’une vie entière que de guérir et de savoir écouter notre sagesse intérieure, c’est loin d’être facile. 

Quel public aimerais-tu toucher avec tes titres ? 

Je souhaite aux personnes sensibles, qui réfléchissent beaucoup et ne se sentent pas comprises par les autres, de se sentir comprises dans ma musique. Elle s’adresse évidemment à tout le monde, mais au-delà des goûts musicaux de chacun•e et des âges du public, ce que je veux au fond, c’est dire aux personnes isolées ou maltraitées qu’elles ont leur place. 

Notre vie quotidienne nous éloigne tout le temps de nos vrais ressentis et de nos aspirations profondes. On est pris pour quelqu’un de « déconnecté » de la réalité si on ne fait pas « comme les autres », alors qu’on cherche précisément à se connecter à nous-même pour mieux se connecter au monde. Mais face à la violence on ne comprend plus pourquoi on existe. Si tu te cherches, si tu souffres, si tu ne sais pas ce que tu fais dans ce monde, je te souhaite de comprendre au travers de ma musique que tu n’es pas seul·e, peu importe ton âge, ton genre, ton milieu.

Dans ton EP, il est beaucoup question de la condition féminine, de l’amour et de la colère. Est-ce plus facile pour toi d’aborder ces thèmes en musique ?

Avant de les aborder en musique, j’ai abordé ces thèmes dans des discussions avec des ami·es. Je ne dirais pas que c’est plus facile de les aborder en musique, au contraire, parler des violences faites aux femmes dans le titre « D’où vient la colère » n’a pas été chose aisée du tout. Je verse des larmes chaque fois que je la chante sur scène, car je me revois dans le passé, terrorisée et isolée sans pouvoir agir. L’écrire et le chanter c’est déjà traiter les traumatismes qui sont les miens, c’est déjà thérapeutique. 

J’ai vraiment envie de faire de la musique sincère, et les sentiments et les zones d’ombre que j’évoque dans l’EP que ce soit le désir de vengeance, les troubles psychiatriques ou encore l’amour qui met face à nos propres failles, sont des expériences que chacun•e peut rencontrer. Ces vécus ne sont pas faciles à vivre, ni à chanter, mais je sens au fond de moi que c’est mon devoir que de les partager. Ça peut sembler prétentieux, pourtant je fais la musique que je voudrais entendre, et c’est profondément bienveillant.

Est-ce que pour ton prochain projet, tu vas continuer l’évolution de ton personnage titre après titre ?

Pour mon prochain projet, je vais continuer à faire évoluer mon personnage que je fonds davantage avec moi-même, avec mon moi intime. 

Riche des enseignements compris de l’EP, la Prêtresse en moi va encore plus assumer son amour pour la nature, développer sa magie et ses intuitions. 

Le personnage que je me suis créée va s’exprimer plus clairement en tant que grande Prêtresse, et sans spoiler, il y aura aussi des affirmations positives en musique, plus de sons émancipateurs et qui visent à donner confiance aux personnes qui m’écoutent.

Qu’est-ce que KAO peut souhaiter pour la suite ?

Pour la suite, vous pouvez me souhaiter de continuer à prendre du plaisir à faire de la musique et à rencontrer de nouvelles opportunités. Surtout, de ne pas me comparer aux autres, car chaque trajectoire est différente, et dans un milieu où les artistes entre eux peuvent parfois être plus en compétition que dans l’entraide, il faut du courage pour se dire qu’on a notre place.

En fait, vous pouvez me souhaiter de continuer à cultiver la Prêtresse que je suis et d’en tirer les enseignements nécessaires pour à mon tour aider les autres à faire de même !

© Ghadir Ismaël / Camille Pautasso

Audrey Makiesse

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